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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ter si elles étaient d’une bonne ou mauvaise forme ; mais, depuis que j’ai quitté les habits de mon sexe et que je vis avec les jeunes gens, il s’est développé en moi un sentiment qui m’était inconnu : — le sentiment de la beauté. Les femmes en sont habituellement privées, je ne sais trop pourquoi, car elles sembleraient d’abord plus à même d’en juger que les hommes ; — mais, comme ce sont elles qui la possèdent, et que la connaissance de soi-même est la plus difficile de toutes, il n’est pas étonnant qu’elles n’y entendent rien. — Ordinairement, si une femme trouve une autre femme jolie, on peut être sûr que cette dernière est fort laide, et que pas un homme n’y fera attention. — En revanche, toutes les femmes dont les hommes vantent la beauté et la grâce sont trouvées unanimement abominables et minaudières par tout le troupeau enjuponné ; ce sont des cris et des clameurs à n’en plus finir. Si j’étais ce que je parais être, je ne prendrais pas d’autre guide dans mes choix, et la désapprobation des femmes me serait un certificat de beauté suffisant.

Maintenant j’aime et je connais la beauté ; les habits que je porte me séparent de mon sexe, et m’ôtent toute espèce de rivalité ; je suis à même d’en juger mieux qu’un autre. — Je ne suis plus une femme, mais je ne suis pas encore un homme, et le désir ne m’aveuglera pas jusqu’à prendre des mannequins pour des idoles ; je vois froidement et sans prévention ni pour ni contre, et ma position est aussi parfaitement désintéressée que possible.

La longueur et la finesse des cils, la transparence des tempes, la limpidité du cristallin, les enroulements de l’oreille, le ton et la qualité des cheveux, l’aristocratie des pieds et des mains, l’emmanchement plus ou moins délié des jambes et des poignets, mille choses à