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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pèce de charbonnière, bâtie en rondins posés transversalement, avec un toit de roseaux, et une porte grossièrement faite de cinq ou six pièces de bois à peine rabotées, dont les interstices étaient étoupés de mousses et de plantes sauvages ; tout à côté, entre les racines verdies de grands frênes à l’écorce d’argent, tachetés çà et là de plaques noires, jaillissait une forte source, qui, à quelques pas plus loin, tombait par deux gradins de marbre dans un bassin tout rempli de cresson plus vert que l’émeraude. — Aux endroits où il n’y avait pas de cresson, on apercevait un sable fin et blanc comme la neige ; cette eau était d’une transparence de cristal et d’une froideur de glace ; sortant de terre tout à coup, et n’étant jamais effleurée par le plus faible rayon de soleil, sous ces ombrages impénétrables, elle n’avait pas le temps de s’attiédir ni de se troubler. — Malgré leur crudité, j’aime ces eaux de source, et, voyant celle-là si limpide, je ne pus résister au désir d’en boire ; je me penchai et j’en puisai à plusieurs reprises dans le creux de la main, n’ayant pas d’autre vase à ma disposition.

Rosette témoigna, pour apaiser sa soif, le désir de boire aussi de cette eau, et me pria de lui en apporter quelques gouttes, n’osant pas, disait-elle, se pencher autant qu’il le fallait pour y atteindre. — Je plongeai mes deux mains aussi exactement jointes que possible dans la claire fontaine, ensuite je les haussai comme une coupe jusqu’aux lèvres de Rosette, et je les tins ainsi jusqu’à ce qu’elle eût tari l’eau qu’elles renfermaient, ce qui ne fut pas long, car il y en avait fort peu, et ce peu dégouttait à travers mes doigts, si serrés que je les tinsse ; cela faisait un fort joli groupe, et il eût été à désirer qu’un sculpteur se fût trouvé là pour en tirer le crayon.