Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.
327
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

comme on dit, la plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a, et ce que j’avais n’eût pas été d’une grande utilité à Rosette.

Elle me tendait sa petite main à baiser ; — j’avoue que je ne la baisais pas sans quelque plaisir, car elle est fort douce, très-blanche, exquisement parfumée, et moelleusement attendrie par une naissante moiteur ; je la sentais frissonner et se contracter sous mes lèvres, dont je prolongeais malicieusement la pression. — Alors Rosette, tout émue et d’un air suppliant, tournait vers moi ses longs yeux chargés de volupté et inondés d’une lueur humide et transparente, puis elle laissait retomber sur son oreiller sa jolie tête, qu’elle avait un peu soulevée pour me mieux recevoir. — Je voyais sous le drap onder sa gorge inquiète et tout son corps s’agiter brusquement. — Certes, quelqu’un qui eût été en état d’oser eût pu oser beaucoup, et à coup sûr l’on eût été reconnaissant de ses témérités, et on lui eût su gré d’avoir sauté quelques chapitres du roman.

Je restais là une heure ou deux avec elle, ne quittant pas sa main que j’avais reposée sur la couverture ; nous faisions des causeries interminables et charmantes ; car, bien que Rosette fût très-préoccupée de son amour, elle se croyait trop sûre du succès pour ne pas garder presque toute sa liberté et son enjouement d’esprit. — De temps à autre seulement, sa passion jetait sur sa gaieté un voile transparent de douce mélancolie, qui la rendait encore plus piquante.

En effet, il eût été inouï qu’un jeune débutant, comme j’en avais les apparences, ne se trouvât pas fort heureux d’une telle bonne fortune et n’en profitât pas de son mieux. Rosette, effectivement, n’était point faite de façon à rencontrer de grandes cruautés, — et, n’en sachant pas davantage à mon endroit, elle comp-