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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Les vieilles femmes devraient toujours s’habiller ainsi et respecter assez leur mort prochaine pour ne point se harnacher de plumes, de guirlandes de fleurs, de rubans de couleurs tendres et de mille affiquets qui ne vont qu’à l’extrême jeunesse. Elles ont beau faire des avances à la vie, la vie n’en veut plus ; — elles en sont pour leurs frais, comme ces courtisanes surannées qui se plâtrent de rouge et de blanc, et que les muletiers ivres repoussent sur la borne avec des injures et des coups de pied.

La vieille dame nous reçut avec cette aisance et cette politesse exquise qui est le partage des gens qui ont suivi l’ancienne cour, et dont le secret semble se perdre de jour en jour, comme tant d’autres beaux secrets, et d’une voix qui, bien que cassée et chevrotante, avait encore une grande douceur.

Je parus lui plaire beaucoup, et elle me regarda très-longtemps et très-attentivement avec un air fort touché. — Une larme se forma dans le coin de son œil et descendit lentement dans une de ses grandes rides, où elle se perdit et se sécha. Elle me pria de l’excuser et me dit que je ressemblais fort à un fils qu’elle avait autrefois et qui avait été tué à l’armée.

Tout le temps que je demeurai au château, je fus, à cause de cette ressemblance, réelle ou imaginaire, traitée par la bonne dame avec une bienveillance extraordinaire et toute maternelle. J’y trouvais plus de charmes que je ne l’aurais cru d’abord, car le plus grand plaisir que les personnes qui sont d’âge me puissent faire, c’est de ne me parler jamais et de s’en aller quand j’arrive.

Je ne te conterai pas en détail et jour par jour ce que j’ai fait à R***. Si je me suis un peu étendue sur tout ce commencement, et si je t’ai esquissé avec quelque soin