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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

traits se déformer dans une progression imperceptible, je m’y fusse paisiblement habituée. — Dans mon enfance, je n’ai été entourée que de figures jeunes et riantes, en sorte que j’ai gardé une antipathie insurmontable pour les vieilles gens. Aussi je frissonnai quand la belle veuve toucha de ses lèvres pures et vermeilles le front jaune de la douairière. — C’est une chose que je ne saurais prendre sur moi. Je sais que lorsque j’aurai soixante ans, je serai ainsi ; — c’est égal, je n’y puis rien faire, et je prie Dieu qu’il me fasse mourir jeune comme ma mère.

Cependant cette vieille avait conservé de son ancienne beauté quelques linéaments simples et majestueux qui l’empêchaient de tomber dans cette laideur de pomme cuite, qui est le partage des femmes qui n’ont été que jolies ou simplement fraîches ; ses yeux, quoique terminés à leurs angles par une patte de plis et recouverts d’une paupière large et molle, avaient encore quelques étincelles de leur feu primitif, et l’on voyait qu’ils avaient dû, sous le règne de l’autre roi, lancer des éclairs de passion à éblouir. Son nez mince et maigre, un peu recourbé en bec d’oiseau de proie, donnait à son profil une sorte de grandeur sérieuse que tempérait le sourire indulgent de sa lèvre autrichienne peinte de carmin, selon la mode du siècle passé.

Son costume était antique sans être ridicule, et s’harmonisait parfaitement avec sa figure ; elle avait pour coiffure une simple cornette blanche avec une petite dentelle ; ses mains, longues et amaigries, qu’on devinait avoir été fort belles, flottaient dans des mitaines sans pouce et sans doigts, une robe feuille-morte, brochée de ramages d’une couleur plus foncée, une mante noire et un tablier de pou-de-soie gorge-de-pigeon complétaient son ajustement.