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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

notre aspect et tapie dans un sillon, derrière du chanvre, quoique nous l’eussions appelée à plusieurs reprises, et que nous eussions fait notre possible pour la rassurer.

Personne ne paraissait aux fenêtres ; on eût dit que le château était inhabité, ou du moins ne l’était que par des esprits ; car le moindre bruit ne transpirait pas au dehors.

Nous commencions à monter les premières marches du perron, en faisant sonner nos éperons, car nous avions les jambes un peu alourdies, lorsque nous entendîmes à l’intérieur comme un bruit de portes ouvertes et fermées, comme si quelqu’un se hâtait à notre rencontre.

En effet, une jeune femme parut sur le haut de la rampe, franchit en un bond l’espace qui la séparait de mon compagnon, et se jeta à son cou. Celui-ci l’embrassa très-affectueusement, et, lui mettant le bras autour de la taille, il l’enleva presque et la porta ainsi jusqu’au palier.

— Savez-vous que vous êtes bien aimable et bien galant pour un frère, mon cher Alcibiade ? — N’est-ce pas, monsieur, qu’il n’est pas tout à fait inutile que je vous avertisse que c’est mon frère, car en vérité il n’en a pas trop les façons ? dit la jeune belle en se retournant de mon côté.

À quoi je répondis qu’on s’y pouvait méprendre, et que c’était en quelque sorte un malheur que d’être son frère et de se trouver ainsi exclu de la catégorie de ses adorateurs ; que pour moi, si je l’étais, je deviendrais à la fois le plus malheureux et le plus heureux cavalier de la terre. — Ce qui la fit doucement sourire.

Tout en causant ainsi, nous entrâmes dans une salle basse dont les murs étaient décorés d’une tapisserie de