Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Un des cavaliers, mon compagnon de lit, celui que j’avais été près de tirer par la manche dans la mémorable nuit dont je t’ai décrit tout au long les angoisses, se prit d’une belle passion pour moi et tint tout le temps son cheval à côté du mien.

À cette exception près, que je n’eusse pas voulu le prendre pour amant quand il m’eût apporté la plus belle couronne du monde, il ne me déplaisait pas autrement ; il était instruit, et ne manquait ni d’esprit ni de bonne humeur : seulement, quand il parlait des femmes, c’était avec un ton de mépris et d’ironie pour lequel je lui eusse très-volontiers arraché les deux yeux de la tête, d’autant plus que, sous l’exagération, il y avait dans ce qu’il disait beaucoup de choses d’une vérité cruelle et dont mon habit d’homme me forçait de reconnaître la justice.

Il m’invita d’une manière si pressante et à tant de reprises à venir voir avec lui une de ses sœurs sur la fin de son veuvage, et qui habitait en ce moment-là un vieux château avec une de ses tantes, que je ne pus le lui refuser. — Je fis quelques objections pour la forme, car au fond il m’était aussi égal d’aller là qu’autre part, et je pouvais tout aussi bien atteindre à mon but de cette façon que d’une autre ; et, comme il me dit que je le désobligerais assurément beaucoup si je ne lui accordais au moins quinze jours, je lui répondis que je voulais bien et que c’était une chose convenue.

À un embranchement du chemin, — le compagnon, en montrant le jambage droit de cet Y naturel, me dit : — C’est par là. Les autres nous donnèrent une poignée de main et s’en furent de l’autre côté.

Après quelques heures de marche, nous arrivâmes au lieu de notre destination.

Un fossé assez large, mais qui, au lieu d’eau, était