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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

sur lesquelles les femmes donnent toujours un démenti à leur conscience ; — mais, bien sincèrement, est-ce vous qui accrochez aux arbres tous ces beaux éloges de Rosalinde, et auriez-vous en effet besoin de remède pour votre folie ? »

Quand elle est bien assurée que c’est lui, Orlando, et non pas un autre, qui a rimé ces admirables vers qui marchent sur tant de pieds, la belle Rosalinde consent à lui dire quelle est sa recette. Voici en quoi elle consiste : elle a fait semblant d’être la bien-aimée du malade d’amour, qui était obligé de lui faire la cour comme à sa maîtresse véritable, et, pour le dégoûter de sa passion, elle donnait dans les caprices les plus extravagants ; tantôt elle pleurait, tantôt elle riait ; un jour elle l’accueillait bien, l’autre mal ; elle l’égratignait, elle lui crachait au visage ; elle n’était pas une seule minute pareille à elle-même ; minaudière, volage, prude, langoureuse, elle était cela tour à tour, et tout ce que l’ennui, les vapeurs et les diables bleus peuvent faire naître de fantaisies désordonnées dans la tête creuse d’une petite-maîtresse, il fallait que le pauvre diable le supportât ou l’exécutât. — Un lutin, un singe et un procureur réunis n’eussent pas inventé plus de malices. — Ce traitement miraculeux n’avait pas manqué de produire son effet ; — le malade, d’un accès d’amour, était tombé dans un accès de folie, qui lui avait fait prendre tout le monde en horreur, et il avait été finir ses jours dans un réduit vraiment monastique ; résultat on ne peut plus satisfaisant, et auquel, du reste, il n’était pas difficile de s’attendre.

Orlando, comme on peut bien le croire, ne se soucie guère de revenir à la santé par un pareil moyen ; mais Rosalinde insiste et veut entreprendre cette cure. — Et elle prononça cette phrase : « Je vous guérirais si