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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et à gauche des millions de folles paillettes, comme un marteau d’une barre de fer rouge, Rosalinde demande à Orlando si d’aventure il connaîtrait cet homme qui suspend des odes sur l’aubépine et des élégies sur les ronces, et qui paraît attaqué du mal d’amour quotidien, mal qu’elle sait parfaitement guérir. Orlando lui avoue que c’est lui qui est cet homme si tourmenté par l’amour, et que, puisqu’il s’est vanté d’avoir plusieurs recettes infaillibles pour guérir cette maladie, il lui fasse la grâce de lui en indiquer une. — Vous, amoureux ? réplique Rosalinde ; vous n’avez aucun des symptômes auxquels on reconnaît un amoureux ; vous n’avez ni les joues maigres ni les yeux cernés ; vos bas ne traînent pas sur vos talons, vos manches ne sont pas déboutonnées, et la rosette de vos souliers est nouée avec beaucoup de grâce ; si vous êtes amoureux de quelqu’un, c’est assurément de votre propre personne, et vous n’avez que faire de mes remèdes.

Ce ne fut pas sans une véritable émotion que je lui donnai la réplique dont voici les mots textuels :

« Beau jeune homme, je voudrais pouvoir te faire croire que je t’aime. »

Cette réponse si imprévue, si étrange, qui n’est amenée par rien, et qui semblait écrite exprès pour moi comme par une espèce de prévision du poëte, me fit beaucoup d’effet quand je la prononçai devant Théodore, dont les lèvres divines étaient encore légèrement gonflées par l’expression ironique de la phrase qu’il venait de dire, tandis que ses yeux souriaient avec une inexprimable douceur, et qu’un clair rayon de bienveillance dorait tout le haut de sa jeune et belle figure.

« Moi le croire ? il vous est aussi aisé de le persuader à celle qui vous aime, et cependant elle ne conviendra pas aisément qu’elle vous aime, et c’est une des choses