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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pent de granit tord dans l’obscurité ses anneaux dont chaque écaille est une marche. Après quelques circonvolutions, le peu de jour qui venait de la porte s’est éteint. L’ombre des maisons qu’on n’a pas encore dépassées ne permet pas aux soupiraux de laisser entrer le soleil : les murs sont noirs, suintants ; on a plutôt l’air de descendre dans un cachot d’où l’on ne doit jamais sortir, que de monter à cette tourelle qui, d’en bas, vous paraissait si svelte et si élancée, et couverte de dentelles et de broderies, comme si elle allait partir pour le bal. — On hésite si l’on doit aller plus haut, tant ces moites ténèbres pèsent lourdement sur votre front. — L’escalier tourne encore quelquefois, et des lucarnes plus fréquentes découpent leurs trèfles d’or sur le mur opposé. On commence à voir les pignons dentelés des maisons, les sculptures des entablements, les formes bizarres des cheminées ; quelques pas de plus, et l’œil plane sur la ville entière ; c’est une forêt d’aiguilles, de flèches et de tours qui se hérissent de toutes parts, dentelées, tailladées, évidées, frappées à l’emporte-pièce et laissant transparaître le jour par leurs mille découpures. — Les dômes et les coupoles s’arrondissent comme les mamelles de quelque géante ou des crânes de Titans. Les îlots de maisons et de palais se détachent par tranches ombrées ou lumineuses. Quelques marches encore, et vous serez sur la plate-forme ; et alors vous verrez, au delà de l’enceinte de la ville, verdoyer les cultures, bleuir les collines et blanchir les voiles sur le ruban moiré du fleuve. Un jour éblouissant vous inonde, et les hirondelles passent et repassent auprès de vous en poussant de petits cris joyeux. Le son lointain de la cité vous arrive comme un murmure amical ou le bourdonnement d’une ruche d’abeilles ; tous les clochers égrènent dans les airs leurs colliers de perles sonores ;