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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

elle une très-grande affection, et je ne voudrais rien faire qui lui causât de la peine. — Je veux qu’elle croie, aussi longtemps que possible, que je l’aime.

En reconnaissance de toutes ces heures qu’elle a rendues ailées, en reconnaissance de l’amour qu’elle m’a donné pour du plaisir, je le veux. — Je la tromperai ; mais une tromperie agréable ne vaut-elle pas mieux qu’une vérité affligeante ? — car jamais je n’aurai le cœur de lui dire que je ne l’aime pas. — La vaine ombre d’amour dont elle se repaît lui paraît si adorable et si chère, elle embrasse ce pâle spectre avec tant d’ivresse et d’effusion que je n’ose le faire évanouir ; cependant j’ai peur qu’elle ne s’aperçoive à la fin que ce n’est après tout qu’un fantôme. Ce matin nous avons eu ensemble un entretien que je vais rapporter sous sa forme dramatique pour plus de fidélité, et qui me fait craindre de ne pouvoir prolonger notre liaison bien longtemps.

La scène représente le lit de Rosette. Un rayon de soleil plonge à travers les rideaux : il est dix heures. Rosette a un bras sous mon cou et ne remue pas, de peur de m’éveiller. De temps en temps elle se soulève un peu sur le coude et penche sa figure sur la mienne en retenant son souffle. Je vois tout cela à travers le grillage de mes cils, car il y a une heure que je ne dors plus. La chemise de Rosette a un tour de gorge de malines toute déchirée : la nuit a été orageuse ; ses cheveux s’échappent confusément de son petit bonnet. Elle est aussi jolie que peut l’être une femme que l’on n’aime point et avec qui l’on est couché.

rosette, voyant que je ne dors plus.

Ô le vilain dormeur !

moi, bâillant.

Haaa !