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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

qui penchez vos yeux de pervenche et joignez vos mains de lis sur les tableaux à fond d’or des vieux maîtres allemands, saintes des vitraux, martyres des missels qui souriez si doucement au milieu des enroulements des arabesques, et qui sortez si blondes et si fraîches de la cloche des fleurs ! — ô vous, belles courtisanes couchées toutes nues dans vos cheveux sur des lits semés de roses, sous de larges rideaux pourpres avec vos bracelets et vos colliers de grosses perles, votre éventail et vos miroirs où le couchant accroche dans l’ombre une flamboyante paillette ! — brunes filles du Titien, qui nous étalez si voluptueusement vos hanches ondoyantes, vos cuisses fermes et dures, vos ventres polis et vos reins souples et musculeux ! — antiques déesses, qui dressez votre blanc fantôme sous les ombrages du jardin ! — vous faites partie de mon sérail ; je vous ai possédées tour à tour. — Sainte Ursule, j’ai baisé tes mains sur les belles mains de Rosette ; — j’ai joué avec les noirs cheveux de la Muranèse, et jamais Rosette n’a eu tant de peine à se recoiffer ; virginale Diane, j’ai été avec toi plus qu’Actéon, et je n’ai pas été changé en cerf : c’est moi qui ai remplacé ton bel Endymion ! — Que de rivales dont on ne se défie pas, et dont on ne peut se venger ! encore ne sont-elles pas toujours peintes ou sculptées !

Femmes, quand vous voyez votre amant devenir plus tendre que de coutume, vous étreindre dans ses bras avec une émotion extraordinaire ; quand il plongera sa tête dans vos genoux et la relèvera pour vous regarder avec des yeux humides et errants ; quand la jouissance ne fera qu’augmenter son désir, et qu’il éteindra votre voix sous ses baisers, comme s’il craignait de l’entendre, soyez certaines qu’il ne sait seulement pas si vous êtes là ; qu’il a, en ce moment, rendez-vous avec une