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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

l’être encore assez pour l’exquise beauté des choses qu’elle cachait. — Je l’ai eue la nuit, au clair de lune, dans une gondole avec de la musique.

Cela serait fort commun à Venise, mais ici cela l’est fort peu. — Dans sa voiture lancée au grand galop, au milieu du bruit des roues, des sauts et des cahots, tantôt illuminés par les lanternes, tantôt plongés dans la plus profonde obscurité… — C’est une manière qui ne manque pas d’un certain piquant, et je te conseille d’en user : mais j’oubliais que tu es un vénérable patriarche, et que tu ne donnes point dans de pareils raffinements. — Je suis entré chez elle par la fenêtre, ayant la clef de la porte dans ma poche. — Je l’ai fait venir chez moi en plein jour, et enfin je l’ai compromise de telle façon que personne maintenant (excepté moi, bien entendu) ne doute qu’elle ne soit ma maîtresse.

À cause de toutes ces inventions qui, si je n’étais aussi jeune, auraient l’air des ressources d’un libertin blasé, Rosette m’adore principalement et par-dessus tous autres. Elle y voit l’ardeur d’un amour pétulant que rien ne peut contenir, et qui est le même malgré la diversité des temps et des lieux. Elle y voit l’effet sans cesse renaissant de ses charmes et le triomphe de sa beauté, et, en vérité, je voudrais qu’elle eût raison, et ce n’est point ma faute ni la sienne non plus, il faut être juste, si elle ne l’a pas.

Le seul tort que j’aie envers elle, c’est d’être moi. Si je lui disais cela, l’enfant répondrait bien vite que c’est précisément mon plus grand mérite à ses yeux ; ce qui serait plus obligeant que sensé.

Une fois, — c’était dans les commencements de notre liaison, — j’ai cru être arrivé à mon but, une minute j’ai cru avoir aimé ; — j’ai aimé. — Ô mon ami ! je n’ai vécu que cette minute-là, et, si cette minute eût été une heure,