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levard de Gand ; les confidences de Dalberg lui avaient révélé tout un monde nouveau, un paradis où il n’était jamais entré. Dans sa vie consacrée à la recherche du bonheur, il n’avait rencontré que le plaisir, et bien rarement encore. Dalberg était plus fort que lui ; du premier coup, il avait obtenu cette émotion profonde et poignante qui est le rêve de tous les don Juan, et que les empereurs romains poursuivaient de toute l’impuissante fureur de leurs fantaisies monstrueuses.

Il examina plus attentivement Calixte, que jusqu’alors il n’avait considérée que comme représentant un certain nombre de billets de banque, et il se convainquit de cette vérité, que le pli droit de la plus simple robe tombant sur un corps chaste a une force de séduction et une puissance irritante que n’ont pas les plus folles toilettes de courtisanes. Le moindre froissement de cette jupe, qui laissait à peine voir le bout du pied, lui faisait affluer tout le sang au cœur ; ce corsage, recouvert d’une guimpe de religieuse, le brûlait, le rendait fou, lui qui naguère, tout en fumant son cigare et en parlant de chevaux, caressait de la main, avec un sang-froid parfait, les épaules les plus satinées de Paris. Lui qui se croyait bronzé, invulnérable, à l’abri désormais de toute surprise, fut vaincu sans même combattre ; en général habile, il sentit sa défaite avant d’engager la bataille, et reconnut vis-à-vis de lui-même l’inutilité de la lutte. Ce désir d’innocence dont sont prises, à une certaine période de la vie, les âmes qui connaissent tout, s’était emparé de Rudolph. Il avait soif de candeur, de pureté ; la vertu était le seul raffinement qu’il n’eût pas encore pratiqué. Quoique peu âgé encore, il fut atteint de ce terrible amour qui pousse les vieillards vers les toutes jeunes filles. Comme il n’avait ni foi, ni croyance, ni illusions, ni fraîcheur d’âme, ni beauté de corps, ni ri-