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« Comment se fait-il, se disait Rudolph, que les plus charmants visages et les plus divins corps, passant devant mes yeux à travers un ruissellement de pierreries, d’or et de fleurs, ne m’aient jamais produit une impression pareille ? »

— Puisqu’il en est ainsi, et que vous ne pouvez vivre séparé de Calixte, j’irai voir le papa Desprez, qui ne m’a pas l’air, d’après ce que vous me dites, d’un gaillard de trop farouche approche, et je lui raconterai l’affaire comme elle s’est passée. Je jetterai une gaze sur les détails pour ne pas faire rougir ses cheveux gris, et peut-être les choses s’arrangeront-elles mieux que vous ne le pensez. — Maintenant il est près de deux heures du matin, et nous avons parcouru deux cents fois l’espace qui sépare le café de Paris de la rue du Mont-Blanc ; je ne suis pas amoureux comme vous, et quelques heures d’horizontalité ne me feraient pas de mal.

Peu après la scène que nous avons esquissée au commencement de ce chapitre, M. Desprez, inquiet de la santé de sa fille, entra dans la chambre de Calixte, qu’il trouva calme et pâle, les yeux fixés sur le bouquet de pavots et de bleuets, signé du nom caché par le cadre, dont il a été parlé au début de cette histoire.

Il lui prit la main et lui dit d’une voix affectueuse :

— Ne te chagrine pas trop, ma pauvre petite, et tâche de l’oublier.

— Jamais je n’oublierai Henri, et jamais je n’aurai d’autre époux, répondit Calixte en fixant sur son père son regard ferme et bleu, plein d’une décision inébranlable.

— Mon enfant, je ne suis pas un père de mélodrame, je ne te ferai pas enfermer dans un couvent et je n’ai nulle envie d’employer envers toi des moyens violents ; mais la conduite de Dalberg est celle d’un misérable. — Il est indigne de toi.