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me l’avait recommandé, je ne m’occuperais plus aujourd’hui de ce jouvenceau ridicule…

Au bout de ce monologue, Amine se fit mettre au lit, et tourna nonchalamment les premiers feuillets d’un roman nouveau, moyen efficace qui ne tarda pas à produire son effet.

Le volume roula bientôt sur le tapis ; en dire le titre serait une cruauté inutile.

Le lendemain Rudolph vint voir Amine, qu’il trouva d’assez mauvaise humeur : elle avait envoyé le matin Toby aux informations, et le résultat du rapport de l’intelligent émissaire était que Dalberg avait reçu la lettre et dormi vertueusement dans son domicile authentique.

— Il me dédaigne pour une petite poupée de pensionnaire. Quel Vandale ! dit Amine, en coquettant devant une grande glace où elle pouvait s’admirer des pieds à la tête.

— C’est une conduite de Huron, et que tu lui feras payer cher, répondit Rudolph.

— Il m’a manqué… gravement, il est naturel que je me venge ; mais vous, quelle raison avez-vous de lui en vouloir ? Vous lui vendez vos chevaux fourbus ; — quand vous avez besoin d’argent, vous jouez une partie avec lui ; — vous lui mettez sur les bras les femmes qui vous ennuient. — C’est un vrai Pylade !

— Je ne lui en veux pas… mais la vie que je mène me fatigue, et je sens le besoin de devenir un homme sérieux, et mademoiselle Desprez, désillusionnée sur le compte de Dalberg, pourrait faire la fortune de quelque garçon spirituel…

— Mais incapable d’être député… de vous, par exemple.

— Pourquoi pas ? Je suis mûr pour la politique : — j’engraisse.

— Et vous devenez chauve. Mais vous ne m’aviez