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parût trente à peine ; ses cheveux noirs, rasés de près pour prévenir un commencement de calvitie, sa petite moustache fine et pincée par le bout au moyen d’un cosmétique, son teint d’une blancheur mate, l’expression à la fois efféminée et cruelle de sa physionomie, lui donnaient une ressemblance vague avec ces portraits de Janet ou de Porbus représentant des mignons de la cour de Henri III ; cette ressemblance physique aurait pu se continuer au moral.

Dalberg avait tout au plus vingt-deux ans ; sa figure ouverte et douce, son regard bienveillant, sa bouche souriante, contrastaient étrangement avec le ton dégagé et les allures hardies qu’il affectait. Les teintes roses de l’adolescence n’avaient pas encore entièrement quitté ses joues un peu pâlies par quelques excès récents et la fréquentation des coulisses de l’Opéra ; à la satisfaction évidente avec laquelle il passait un petit peigne d’écaille dans sa barbe d’un châtain doré, on voyait que c’était pour lui une nouveauté agréable.

— Auquel des deux en veut-elle ? se dit Florence tout en répondant à son voisin, qui, après de longues réflexions, s’était enfin décidé à rompre le silence pour émettre cette importante observation météorologique :

— Quel temps affreux il a fait aujourd’hui, madame !

— À Rudolph ? à Henri ? Rudolph a été dans les bonnes grâces d’Amine autrefois, et Amine, comme elle le dit elle-même, n’a pas le défaut de rabâcher. Elle aurait fort à faire si elle s’abandonnait aux tendres réminiscences. Alors c’est à Henri que s’adresse cette œillade assassine ; Demarcy est donc ruiné ?

Et Florence jeta un coup d’œil sur le mortel chargé de subvenir à la liste civile d’Amine ; il trônait au haut de la table, avec l’indolente sécurité d’un homme qui a beaucoup d’actions du Nord.

— Ce serait donc caprice, sinon de cœur, du moins