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siégé sur les bancs extrêmes du centre gauche ; explique qui voudra cette contradiction. Le blason a du charme, même pour les républicains, et dans presque tous les romans à tendances démocratiques, l’héroïne est une duchesse aimée par un homme du peuple.

Calixte n’était pas, à beaucoup près, aussi rayonnante que son père, et la perspective d’être appelée bientôt madame la baronne ne semblait pas exciter une joie bien vive dans son âme.

Elle avait peu dormi, et sa figure, ennoblie par une pâleur délicate, trahissait sous son voile d’indifférence une certaine anxiété et comme l’attente d’un événement.

Certes, elle avait toute confiance dans le dévouement et l’adresse de son amie. — Sur sa promesse de la délivrer de Rudolph lorsqu’il en serait temps, elle s’était extérieurement résignée aux volontés de son père. — Mais ne pouvait-il pas se faire que Florence se fût abusée sur l’infaillibilité de son moyen, ou que Rudolph parvînt à parer le coup qu’on lui montait ? il avait tant de ressources dans l’esprit, tant de ruses et de roueries à sa disposition, il était si expert à sortir des situations difficiles, si fin, si délié ? — M. Desprez avait en lui une confiance si aveugle ! — On conviendra qu’il y avait là bien des sujets de crainte, et que les tressaillements nerveux de Calixte étaient parfaitement justifiés.

Si ce moyen suprême manquait, elle se trouvait engagée par sa parole même, et forcée d’épouser un homme pour qui elle n’avait que du mépris. — De cet instant dépendait le malheur ou le bonheur de sa vie !

Le rendez-vous était pris pour midi ; les deux aiguilles étaient rejointes et formaient une seule ligne perpendiculaire ; les témoins étaient là : il ne manquait plus que Rudolph.