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livre de Scalion est-il tout écrit en sonnets : il y en a bien, Apollon le lui pardonne ! deux ou trois mille, tout autant que cela. C’est effrayant. Ils sont adressés en grande partie à une dame idéale ou réelle qui a nom Angélique. Cette brave dame, à ce qu’il paraît, était vertueuse outre mesure, car les sonnets du malheureux Virbluneau ne roulent que sur sa cruauté. Pardieu ! si j’eusse été madame Angélique, je lui aurais cédé sur-le-champ, afin qu’il ne fît plus de sonnets ; mais Scalion aurait été homme à chanter son ivresse aussi longuement que sa détresse, et son bonheur aurait été aussi à redouter que son infortune.

Scalion de Virbluneau, sieur d’Ofayel ! Amadis sur la roche pauvre était un joyeux compagnon près de toi. Tudieu ! quel amour est le tien ! — ce ne sont que doléances et complaintes à n’en plus finir. On mettrait à flot un vaisseau à trois ponts des larmes qu’il répand ; son oreiller est tout trempé ; ses matelas sont traversés de part en part ; c’est un cataclysme universel ; sa cervelle se fond en eau. Il a plutôt l’air d’un fleuve ou d’un dieu marin que d’un Cupidon : il est hâve, pâle, maigre et n’aura tantôt plus que la peau sur les os. Il va mourir. Il est mort. — Laissons-le parler lui-même :


Mon cœur ne peut plus vivre ainsi qu’il est,
Loing de pitié, de faveur et liesse ;
Car le tourment le plus cruel qu’il ait,
C’est quand il croit que votre amitié cesse.

Las ! qui vous rend si dure, ma maîtresse ?
Puisqu’à servir vos beautés il se plaît.
Mieux lui vaudrait de vivre tout seulet
Que de chercher compagne qui le blesse.