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de Bohême, ses longues mains sèches, près prenant comme glu ; son habit déchiqueté, à barbe d’écrevisse, et dépenaillé comme celui d’un cueilleur de pommes du Perche, Villon en extase devant les grasses soupes de prismes des jacobins ; Villon courant les mauvais lieux, tout en faisant l’amant transi ; Villon invoquant, à chaque vers, le bon Dieu, la sainte Vierge, et tous les saints du paradis, et ne manquant pas une occasion de dauber les prêtres, les moines, de quelque robe et de quelque couleur qu’ils soient. Tous les deux haïssent de bon cœur les bourgeois et le guet, c’est-à-dire les propriétaires et les gardiens de la propriété : ce sont deux espèces de philosophes éclectiques qui prennent leur bien où ils le trouvent. Au reste, toujours malades d’un flux de bourse, car, s’ils ont soixante-trois manières d’avoir de l’argent, ils en ont deux cent dix de le dépenser, hormis la réparation de dessous le nez ; toujours aux expédients, toujours à deux doigts de la potence, et n’évitant d’être pendus qu’à force d’esprit et de génie. Tout complet que soit Panurge, Villon, cependant, l’est encore davantage ; il a une mélancolie que l’autre n’a pas, il a le sentiment de sa misère. Quelque chose d’humain lui vibre encore sous les côtes ; il aime sa mère. — Panurge semble tombé du ciel et ne procède de rien ; l’idée qu’il a un père et une mère ne vous vient jamais : il est né probablement des amours d’un jambon et d’une bouteille, ou poussé entre deux pavés, comme un champignon, à la porte de quelque lupanar. Son sarcasme est impitoyable, et son rire n’est jamais tempéré de larmes. — Il n’a pas non plus, pour la beauté de la femme, le même respect amoureux