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rement par la mort de Jésus-Christ, l’autre une expression de tendresse ignoble à vous dégoûter des femmes pendant quinze jours. Cette grosse fille de joie joufflue, pansue, dont les couleurs sont plus rouges que le fard, cette ribaude gorgée de viande et de vin, saoule et débraillée, furieuse, qui crie et hurle, et entremêle ses caresses immondes de baisers avinés et de hoquets hasardeux, est peinte de main de maître en trois ou quatre coups de pinceau. Avez-vous vu quelques-unes des eaux-fortes libertines de Rembrandt : Bethsabée, Suzanne, et surtout Putiphar, mélange inouï de fantastique et de réel ? C’est une chose admirable et dégoûtante ; la nudité est cruelle, les formes sont monstrueusement vraies, et, quoique abominables, ressemblent tellement aux formes les plus choisies des plus charmantes femmes, qu’elles vous font rougir malgré vous : cela est le propre des maîtres de cacher une beauté intime au fond de leurs créations les plus hideuses. — Eh bien ! si vous avez vu une de ces eaux-fortes, vous pouvez vous faire l’idée la plus juste de la figure dessinée par Villon ; le fond, quoiqu’à peine indiqué et dans la demi-teinte, se devine facilement ; on voit le plafond à solives enfumées, la table de chêne et le bahut démantelé, le lit en serge, d’un vert pisseux, fatigué de ses longs et nombreux services ; tout le mobilier succinct de la fille de joie : par la porte entre-bâillée, arrivent les clercs et les laïques, les bourgeois et les soudards, que la luxure pousse par les épaules dans cet abominable bouge : dans le fond, notre poëte, avec son air narquois, la cruche à la main, qui se hâte de descendre à la cave, et tend du fromage et du pain aux nou-