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« Je m’étais toujours bien douté que cette petite fille que je vis entrer il y a six mois dans ma chambre avec une robe trop courte, et qui se mit à pleurer je ne sais pas bien pourquoi, était aussi spirituelle qu’elle en avait la mine. La lettre que vous avez écrite à mademoiselle de Saint-Hermant est si pleine d’esprit, que je suis mal content du mien de ne pas m’avoir fait connaître assez tôt tout le mérite du vôtre. Pour dire vrai, je n’eusse jamais cru que dans les îles d’Amérique ou chez les religieuses de Niort on apprît à faire de belles lettres, et je ne puis bien m’imaginer pour quelle raison vous avez apporté autant de soin à cacher votre esprit que chacun en a de montrer le sien. À cette heure que vous êtes découverte, vous ne devez point faire de difficulté de m’écrire aussi bien qu’à mademoiselle de Saint-Hermant. Je ferai tout ce que je pourrai pour faire une aussi bonne lettre que la vôtre, et vous aurez le plaisir de voir qu’il s’en faut beaucoup que j’aie autant d’esprit que vous. »

Dans une autre lettre, on trouve ce passage : « Je ne sais si je n’aurais point mieux fait de me défier de vous la première fois que je vous vis. Je devais le faire, à en juger par l’événement ; mais aussi, quelle apparence y avait-il qu’une jeune fille dût troubler l’esprit d’un vieil garçon, et qui l’eut jamais soupçonnée de me faire assez de mal pour me faire regretter de n’être plus en état de me revancher ?… La male peste que je vous aime, et que c’est une sottise que d’aimer tant ! À tout moment, il me prend envie d’aller en Poitou ; et, par le froid qu’il fait, n’est-ce pas une forcenerie ? Ha ! revenez de par Dieu ; de par Dieu, revenez, puisque je suis assez fou pour me