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ravage que la maladie avait fait sur notre poète burlesque, elle avait respecté l’appétit ; son estomac semblait avoir retiré à lui la vie qui désertait le reste du corps. Il était gourmand comme un chat de dévote, et ne laissait les bons morceaux que pour les meilleurs ; aussi parle-t-il avec une reconnaissance qui donne envie de manger, des chapons du Maine et des pâtés de perdrix que lui donnaient mesdemoiselles d’Hautefort et d’Escars.

On faisait souvent dans sa maison des écots et des régals entre gens de la meilleure compagnie ; le vin y était bon, la chère délicate, et la conversation des plus enjouées. Il est probable que ses illustres convives ne laissaient pas toute la dépense à sa charge, qu’ils lui envoyaient soit des bourriches de gibier, soit des paniers de vins généreux, et que Scarron ne fournissait guère que l’esprit, la table et les morceaux de résistance. Il ne manquait même pas dans le logis du poète de jolis visages, quoiqu’il ne fût pas encore marié. Il avait retiré chez lui ses deux sœurs du premier lit, Anne et Françoise. L’une d’elles avait de la tournure, une figure charmante et de l’esprit. Le duc de Trêmes, qui fréquentait chez Scarron, se prit de goût pour elle, et lui rendit des soins qui furent assez favorablement accueillis pour qu’il en résultât un enfant que Scarron appelait en plaisantant son neveu à la mode du Marais. Ce garçon épousa une demoiselle Anne de Thibourt et fut écuyer de madame de Maintenon. Scarron était loin, comme on voit, de se poser en frère féroce, et il disait de ses deux sœurs, que l’une aimait le vin et l’autre aimait les hommes ; cette appréciation succincte nous a la mine d’être sincère. Il préten-