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ne peuvent être des jouets d’enfants : ce sont d’énormes roches, aussi hautes que le clocher de Strasbourg, que Typhon a arrachées de ses mains puissantes et qu’il a grossièrement façonnées. Un prodigieux quartier de montagne à peine dégrossi sert de boule. Cette partie de quilles cause des tremblements de terre dans la contrée. Cependant les géants ne sont pas encore échauffés ; ils jouent posément, comme cela se pratique d’abord ; petit à petit, le jeu s’anime, et Mimas, en lançant la boule, attrape le pied de Typhon précisément à l’endroit de son durillon. Typhon, enragé de douleur, mais ne pouvant s’en prendre à Mimas, qui ne l’a pas fait exprès, ramasse les quilles et la boule, et les jette en l’air avec tant de force, qu’elles percent les voûtes bleues du ciel et retombent sur le buffet des dieux, où elles brisent tous les verres et toute la vaisselle. Jupiter se réveille en sursaut à ce tintamarre d’assiettes cassées, et demande, transporté de colère, ce que signifie une pareille bacchanale : — Majesté, répond Pallas, c’est un coup de quelque épouvantable machine de guerre braquée de la terre contre le ciel qui a causé ce dégât dans votre buffet. Tous les verres sont en pièces, et il nous faudra désormais boire dans nos mains comme des mendiants ou des philosophes cyniques. — Ce sont neuf quilles et une boule, ajoute Mome, le gentil bouffon. — Ah çà, dit Jupiter, le ciel est donc pénétrable ? on le crève donc comme un plafond de papier ? nous ne sommes donc plus en sûreté dans cette bicoque d’azur ! les fils de la terre deviennent de plus en plus insolents, mais je leur rabattrai bien le caquet ; je tonnerai, je grêlerai, je pleuvrai sur eux d’une si rude