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continuateurs. Il devait d’abord faire paraître un livre chaque mois ; toutefois, soit que les souffrances l’en empêchassent, soit qu’il fût ennuyé et rebuté de cette besogne, ce qui est plus vraisemblable, il ne mit pas beaucoup d’exactitude à tenir son engagement, et de longs intervalles séparèrent les apparitions des diverses parties de son poème. Certes, il faut toute la verve de Scarron pour soutenir une si longue plaisanterie ; il faut son habileté souveraine à manier le vers de huit pieds, sa facilité à trouver des rimes imprévues, des tours piquants, des suspensions, des enjambements hardis, des coupes bizarres, enfin tout ce qui peut varier une œuvre d’une telle haleine. Souvent, à travers mille incongruités plus étranges les unes que les autres, se trouvent des morceaux vraiment bien traités, et dont la littéralité familière rend beaucoup mieux l’antique que les traductions sérieuses et en beau style. Des réflexions judicieuses servent de commentaire au texte :


Soyez justes, craignez les dieux ;
Cette sentence est bonne et belle,
Mais en enfer, à quoi sert-elle ?


Il est impossible de railler plus finement le fameux vers :


Discite justitiam moniti et non temnere divos !


L’Énéide travestie n’a pas été poussée au delà du viiie livre ; le Roman comique lui-même n’est point achevé, soit caprice, soit fatigue. Nous aimons assez ces œuvres interrompues auxquelles l’imagination du lecteur est forcée de chercher un dénoûment.