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« Venant d’ailleurs après tant d’écrivains illustres et dont le mérite a occupé la faveur du peuple, ne dois-je pas appréhender qu’il me refuse l’applaudissement que j’en eusse peut-être obtenu si je me fusse fait voir aussi bien le premier dans la carrière que j’ai paru sur les rangs ? En effet, qu’est-ce que la Pucelle peut opposer dans la peinture parlante au Moïse de M. Saint-Amant, dans la hardiesse et la vivacité, au Saint-Louis du révérend père Le Moyne ; dans la pureté, dans la facilité et dans la majesté, au Saint-Paul de Monseigneur l’évêque de Vence ; dans l’abondance et dans la pompe, à l’Alaric de M. de Scudéry ; enfin, dans la diversité et dans les agréments, au Clovis de M. Desmarets ? Je ne parle point de la Pharsale de M. de Brébœuf, quoique ses vigoureuses expressions ne cèdent en rien à celles de l’original, et qu’il soit aisé de voir par une si brillante copie jusqu’où il pouvoit porter son vol s’il ne se fût point borné à une moindre élévation que la sienne. La Pucelle se reconnoît inférieure en toutes choses à tous ces héros, et si elle ne se pouvoit vanter de les avoir excités, par son exemple, à entreprendre cette glorieuse course, elle n’oseroit pas même se croire digne de la faire après eux. Que dirois-je encore de l’avantage qu’a sans doute la gravité magnifique du Constantin du révérend père Mambrun, et du Martel de M. de Boissat, sur l’inculte simplicité de ma bergère ; et si l’on pouvoit aussi bien faire comparaison entre des poèmes de langage différent qu’entre ceux d’une même langue, que ne dirois-je enfin du Conquisto di Granata du seigneur Girolamo Graziani, mettant sa richesse en parallèle avec la pauvreté de ma France délivrée ? »