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En vérité, si l’on ne savait pas que Jean Chapelain « faisait une profession exacte d’aimer la vertu sans intérêts », on croirait qu’il a prolongé à dessein la durée de son labeur pour jouir plus longtemps de la pension, car il ne s’écoula pas moins de trente ans entre le jour où il écrivit le premier vers de son poème et celui où il mit au bas de son œuvre le bienheureux mot fin. Horace lui-même ne demande pas plus de neuf ans, ce qui est déjà bien honnête. — Le divin Mélésigène, après avoir fait l’Iliade et l’Odyssée, s’en allait pauvre et nu sur les grèves de la mer, mendiant son pain et chantant des vers pour gagner quelque petite pièce de monnaie ; et Chapelain empoche près de cent mille francs pour ce poème, le plus prosaïque et le plus impossible à lire ou à entendre dont ait jamais accouché une cervelle humaine ouverte avec la hache et le marteau. — C’est dans l’ordre, et ce n’est pas pour rien que la médiocrité a reçu l’épithète d’auréa il y a déjà fort longtemps.

C’était alors la grande mode du poème héroïque ; il y avait des averses d’épopées in-folio, et chaque écrivain tenait à honneur de faire la sienne ; une véritable épidémie épique ! — On savait que le glorieux Chapelain faisait une épopée, et l’ouvrage, bien qu’inédit, était regardé comme le suprême effort de l’esprit humain ; tous les poètes de suivre l’exemple du poète en vogue, et de se tourner à l’héroïque. Mais ils ne recevaient pas mille écus par an, ils furent beaucoup plus expéditifs, et leurs poèmes, commencés bien après la Pucelle, parurent beaucoup avant. — C’est à quoi Chapelain fait allusion dans sa préface :