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Si l’on voulait citer toutes les personnes qui ont porté un témoignage favorable sur Chapelain, il faudrait faire le relevé de tous les écrivains de l’époque tant Français qu’étrangers, car aucun ne s’en est tu. — Le grand Colbert professait une telle estime pour lui qu’il l’écoutait exclusivement pour les matières de littérature, et que lorsqu’on voulut gratifier les savants et les auteurs, ce fut lui qui dressa la liste de ceux qu’il croyait mériter une récompense ou une pension. — Ce travail, où chaque nom est accompagné d’une courte notice ou d’une appréciation, est extrêmement curieux ; des noms peu ou point connus y sont cités comme des illustrations sans pareilles et ont des articles fort longs ; d’autres, tout rayonnants aujourd’hui, y sont à peine indiqués en quelques lignes. Voici le jugement et la note très-cavalièrement succincte qui concerne Molière :

« Il a connu le caractère comique et l’exécute naturellement. L’invention de ses meilleures pièces est imitée, mais judicieusement ; sa morale est bonne, et il n’a qu’à se garder de sa scurrilité. »

Vous voyez que l’éloge est maigre ; c’est de Molière que Jean Chapelain parle ainsi. Il se croyait de beaucoup au-dessus de lui, et en cela il était fort excusable, car c’était alors une opinion pour ainsi dire générale. Le portrait qu’il fait de lui-même est infiniment plus ample et travaillé avec une complaisance toute paternelle :

« C’est un homme qui fait une profession exacte d’aimer la vertu sans intérêt ; il a été nourri jeune dans les langues et la lecture : ce qui, joint à l’usage du monde, lui a donné assez de lumière des choses pour l’avoir fait