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Il n’y a rien là qui sente le poète et le grenier. — G. Colletet, en outre, avait des terres. Il obtint des places honorables et lucratives ; il était avocat au conseil du roi, et le cardinal éminentissime Armand, duc de Richelieu, l’honorait d’une estime toute particulière ; et à coup sûr, malgré quelques embarras temporaires, il n’en fut jamais réduit, comme son pauvre fils, à mendier son pain dans l’office des grands seigneurs, quoiqu’il ne se fît aucun scrupule non plus qu’aucun poète de ce temps d’accepter les cadeaux que les princes ou les personnes de qualité voulaient bien lui faire en argent ou en bijoux.

Byron, à ce qu’on dit, vendait ses vers une guinée pièce ; Delille, sept francs dix sous ; d’autres célébrités contemporaines, que je ne nommerai pas parce qu’il n’en est pas besoin, vendent les leurs huit francs et neuf francs ; mais certainement jamais vers, même alexandrins, c’est-à-dire les plus longs qui soient, n’ont été payés aussi cher à aucun poète du monde que les six de Colletet qui contiennent la description de la pièce d’eau des Tuileries. — Il reçut pour ces six vers seulement la somme énorme de six cents livres ; sur quoi il fit ce distique :


Armand, qui pour six vers m’a donné six cents livres,
Que ne puis-je à ce prix te vendre tous mes livres !


La manière dont elle lui fut donnée dut en doubler le prix à ses yeux ; car, en écoutant la suite du morceau, le ministre bel esprit, tout trépignant d’aise et tout hors de lui, lui dit qu’il les lui donnait pour ces six vers là expressément et que le roi ne serait pas assez riche pour payer le reste. Ce passage se trouve dans la pièce des