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se destinait pas d’abord à ce glorieux métier de poète qu’il fit par la suite à la satisfaction de ses nombreux amis et même d’une certaine portion du public. Il étudia le droit et se fit recevoir avocat au parlement ; cependant il ne paraît pas qu’il ait jamais plaidé. Nous ne savons pas si cela tient à une horreur naturelle de la chicane, ce monstre aux griffes noires d’encre, et du style barbare des procédures, ou à la difficulté de l’improvisation, ou au manque de voix et de moyens oratoires. Pourtant il est probable que c’est autant à une de ces dernières causes qu’à l’antipathie que toute âme un peu bien située se sent pour cet odieux métier de l’avocasserie que l’on doit attribuer cette réserve et ce bon goût qu’il eut de ne point plaider étant avocat : car l’on voit par un passage de son livre d’épigrammes qu’il n’était du tout propre à briller en société, à cause d’une espèce de bredouillement et d’embarras de langue qu’il avait, et il ne feint point de dire qu’il est, en revanche, un fier champion sur le pré du cabinet et que c’est là qu’il se fait tout blanc de son épée. — Je veux dire de sa plume.

Ayant fait la connaissance de quelques jeunes débauchés du temps qui, tout en cherchant les aventures et en suçant l’âme des pots, s’occupaient des choses de la littérature et savaient ce qui courait de mieux par les ruelles et les plus galantes productions du jour, il prit goût à la poésie et se tourna tout à fait de ce côté, au grand déplaisir sans doute de ses parents. Car depuis un temps immémorial les pères sont en possession de se hérisser dès que les fils offrent le plus léger symptôme de poésie, et ce n’est pas d’aujourd’hui non plus