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que je donne votre portrait à la postérité, qui sera un jour bien aise de savoir comme vous étiez fait. On saura donc, en premier lieu, que la nature, qui vous ficha une tête sur la poitrine, ne voulut pas expressément y mettre le col, afin de le dérober aux malignités de votre horoscope ; que votre âme est si grosse qu’elle serviroit bien de corps à une personne un peu déliée ; que vous avez ce qu’aux hommes l’on appelle la face si fort au-dessous des épaules, que vous semblez un saint Denis portant son chef entre ses mains. Mais, bons dieux ! qu’est-ce que je vois ? vous me paroissez encore plus gonflé qu’à l’ordinaire ; déjà vos jambes et votre tête se sont tellement unies par leur extension à la circonférence de votre globe que vous n’êtes plus qu’un ballon… Vous vous figurez peut-être que je me moque : vous avez deviné. — Je vous puis même assurer que si les coups de bâtons s’entrevoyoient par écrit vous liriez ma lettre des épaules ; et ne vous étonnez pas de mon procédé, car la vaste étendue de votre rondeur me fait croire si fortement que vous êtes une terre que, de bon cœur, je planterois du bois sur vous pour voir comment il s’y porteroit. Pensez-vous, à cause qu’un homme ne sauroit vous battre tout entier en vingt-quatre heures et qu’il ne sauroit en un jour échiner qu’une de vos omoplates, que je me veuille reposer de votre mort sur le bourreau ? Non, non, je serai moi-même votre parque, et ce seroit déjà fait de vous si j’étois délivré d’un mal de rate, pour la guérison duquel les médecins m’ont ordonné encore quatre ou cinq prises de vos impertinences, mais sitôt que j’aurai fait banqueroute aux divertissements et que je serai las de rire, tenez-