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une même face, ce qui est trop pour la coutume. Quelques chiens de chasse offrent aussi cette conformation ; elle est le signe d’une grande bienveillance ; les portraits de saint Vincent de Paule ou du diacre Paris vous montreront les types le mieux caractérisés de cette espèce de structure ; seulement le nez du Cyrano est moins pâteux, moins charnu dans le contour ; il a plus d’os et de cartilages, plus de méplats et de luisants, il est plus héroïque. Quant au reste de la figure, autant que ce nez triomphal permet de l’apercevoir, il m’a semblé gracieux et régulier : les yeux sont coupés en amande et fort noirs, ce qui leur donne un feu et une douceur surprenante ; les sourcils sont minces, quoique très-apparents ; la moustache, un peu fine et maigre, se perd avec l’ombre des commissures des lèvres ; les cheveux à la mode des raffinés, tombent avec grâce de chaque côté de la face. N’était le nez, ce serait réellement un joli garçon. Ce nez malencontreux fut du reste, pour Cyrano de Bergerac, une occasion de déployer sa valeur dans des duels qui se renouvelaient presque tous les jours. — Si quelqu’un avait le malheur de le regarder et montrait quelque étonnement de voir un nez pareil, vite il lui fallait aller sur le pré. — Et comme les duels de ce temps-là ne finissaient pas par des déjeuners et que Cyrano était un habile spadassin, on courait risque de recevoir quelque bon coup d’épée au ventre et de remporter son pourpoint percé de plus de boutonnières qu’il n’en avait auparavant, ce qui fit qu’au bout de peu de temps tout le monde trouva la forme du nez de Cyrano excessivement convenable et que tout au plus quelque provincial non encore usagé s’avi-