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comme revestu de si belles et si fortes armes, je n’aurois jamais pu parer le coup d’infortune, je courois risque de perdre la vie, et le Moïse sauvé était le Moïse perdu. Mais ceux qui me prirent, quelques farouches et quelqu’insolents qu’ils fussent, respectèrent en la personne du domestique la grandeur de la maîtresse : l’éclat d’un nom si fameux et si considérable leur fit suspendre la foudre qu’ils étoient tout prêts de faire tomber sur moi, et leurs yeux le voyant luire comme un bel astre au premier des cahiers de mon ouvrage en furent tellement éblouis qu’ils n’osèrent plus le regarder…

« La crainte que quelque curiosité profane n’en eût tiré quelque copie me fit résoudre dès-lors d’en changer la face et toute la tissure. L’envie d’accomplir ce dessein me sollicita pendant tout mon voyage, j’essayai même par plusieurs fois et en plusieurs lieux de l’effectuer, mais je reconnus que les muses de la Seine étoient si délicates qu’elles n’avoient pu me suivre dans cette longue course, et que la fatigue du chemin les avoit étonnées, et qu’absolument il me falloit une retraite solitaire et naturelle où ces belles vierges habitassent pour venir à bout de ce que j’avois projeté. — C’est ce qui me fit revenir en France, Madame ; et si j’ay commis quelque faute en ce retour, j’espère que V. M. me fera la grâce de me la pardonner, puisque c’est à cause de cela que j’ay mis en meilleur ordre, et que j’ay achevé ce que je n’ay jamais entrepris que pour contribuer en quelque chose à ses divertissements. »