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Saint-Amant sait polir la rime
Avec une si douce lime
Que son luth n’est pas plus mignard.


Il fait allusion lui-même, plusieurs fois, et assez peu modestement, il faut en convenir, à son talent pour la musique dans le cours de ses ouvrages, et, entre autres, dans le Moïse sauvé, où, pour donner une idée de la suavité du chant des rossignols, il la compare aux charmes de son luth : ce qui donne lieu de croire qu’il en jouait, non en simple amateur, mais en virtuose consommé. C’est d’ailleurs une particularité assez remarquable chez un poète français ; on n’en cite guère qui aient été musiciens et poètes à la fois, à moins que ce ne soit dans des temps très-anciens ; car la poésie et la musique, que l’on croirait sœurs, sont plus antipathiques qu’on ne le pense communément. Il n’y a qu’un petit nombre de musiciens capables de refaire les vers de leur libretto quand ils ne leur conviennent pas ; il n’y a pas de poète, que je sache, qui soit en état de chanter juste l’ariette la plus facile : Victor Hugo hait principalement l’opéra et même les orgues de Barbarie ; Lamartine s’enfuit à toutes jambes quand il voit ouvrir un piano ; Alexandre Dumas chante à peu près aussi bien que Mademoiselle Mars, ou feu Louis XV, d’harmonieuse mémoire ; et moi-même, s’il est permis de parler de l’hysope après avoir parié du cèdre, je dois avouer que le grincement d’une scie ou celui de la quatrième corde du plus habile violoniste me font exactement le même effet. — C’est une remarque que personne n’a faite avant moi et que j’ai vérifiée autant que le cercle de mes relations