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d’Hoffmann, un buveur poétique qui entend l’orgie à merveille, et qui sait tout ce qu’il peut jaillir d’étincelles du choc des verres de deux hommes d’esprit. — Il comprend que le génie n’est que l’ivresse de la raison, et il s’enivre le plus souvent qu’il peut. — Certains hommes ont le don de pouvoir dégager quand ils veulent leur rêve de la réalité et de se séparer complètement du milieu qui les environne, comme La Fontaine, qui dormit debout toute sa vie ; d’autres sont obligés de recourir à des moyens factices, au vin ou à l’opium, pour assoupir la geôlière de la prison et faire prendre sa volée à la folle du logis. Saint-Amant est de ceux-là ; le rayon lui arrive bien plus étincelant et coloré à travers le ventre vermeil d’un flacon de vin. Sa métaphore jaillit plus hardiment avec le bouchon de la bouteille et va frapper le plafond en même temps que lui. Quelle ardeur de touche ! quelle vivacité ! quel entrain ! — Ce n’est plus le même homme, c’est comme un autre poète dans le poète.

— Dites-moi si cette inégalité pleine de lueurs flamboyantes et d’obscurités impénétrables, cimes très-élevées et fondrières très-profondes, ne vous plaît pas mieux qu’une médiocrité sobre et honnête, sans étoiles et sans nuages, éclairée partout d’un jour pâle et artificiel comme la clarté des bougies. — Un tel écrivain, si chaud, si vivace, avec cette chair et ce sang à la Rubens, cette tournure d’esprit à la fois allemande et espagnole, un homme qui avait vu tant de choses et qui peignait avec ses propres couleurs ce qu’il avait vu de ses yeux, ne devait pas convenir le moindrement du monde à Boileau, esprit juste, mais étroit, critique passionné et ignorant si l’on