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père Pierre de Saint-Louis rencontre quelquefois de très-beaux vers et des mouvements singulièrement poétiques. Tel qu’il est, c’est-à-dire le poète du monde qui a eu le goût le plus monstrueusement dépravé qu’il se puisse voir, il est très-intéressant à lire pour les artistes : c’est une étude curieuse et qui sert à faire toucher au doigt le point d’intersection où le génie tourne à la folie, et comment ces meilleures qualités deviennent des défauts énormes en étant poussées à l’excès. Les gens inattentifs riront aux éclats, et certes on ne peut pas dire que ce soit à tort ; mais ceux que des barbarismes et des fautes de goût ne rebutent pas trouveront encore quelques perles dans ce fumier.

Le poème du père Pierre de Saint-Louis est indubitablement l’ouvrage le plus excentrique, pour le fond et la forme, qui ait jamais paru dans aucune langue du monde, et, à ce titre, quoiqu’il soit détestable, il méritait qu’on s’en occupât. Le suprême mauvais est aussi utile à connaître que le suprême beau. Avec l’un l’on apprend comme il ne faut pas faire, avec l’autre comme il faut faire : le jour n’existerait pas sans la nuit, car il faut à toute chose son contrepoids. Le père Pierre de Saint-Louis est le contrepoids d’Homère : il est aussi absolu et aussi complet que lui dans la chose qu’il représente ; c’est pourquoi ce n’est point un homme méprisable. Il est la personnification d’une des facultés de l’intelligence humaine. Homère est l’inspiration ; le père Pierre de Saint-Louis est la fièvre chaude poétique.