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sement du ciel, et, au lieu d’entrer chez les dominicains comme il en avait l’intention, il se décida pour les carmes. À ce motif si puissant pour lui il s’en vint joindre un autre non moins puissant : ayant fait l’anagramme de son nom (Ludovicus Bartelemi), il se trouva qu’il donnait en latin carmelo se devovet, et en français il est du Carmel ; car le père Pierre de Saint-Louis, que nous appellerons désormais toujours ainsi, croyait que la destinée de chaque homme était contenue dans son nom, et qu’on en avait le mot en faisant l’anagramme. Il accordait une pleine et entière confiance aux songes et était infatué de mille superstitions qu’il avait prises en lisant les cabales des rabbins et des massoreths. Il reprit ses études interrompues, et fit sa théologie à Aix ; ensuite on l’envoya à Aiguelades, couvent de l’ordre, près de Marseille : ce fut là qu’il rencontra le père Groslier. Heureuse rencontre ! Ces deux hommes si différents ne se furent pas plus tôt vus qu’ils se prirent l’un pour l’autre d’une amitié non pareille : on eût dit un de ces beaux groupes d’amis antiques, Castor et Pollux, Thésée et Pirithoüs, Oreste et Pylade. Ce sobriquet leur en resta, et dans la commuuauté on ne les appelait pas autrement que les RR. PP. Oreste et Pylade. Autant le père Pierre de Saint-Louis était fantasque, inégal, d’humeur inquiète et vagabonde, autant le père Groslier était tranquille, sage et réglé. C’était lui qui faisait le Pylade ; le père Pierre de Saint-Louis était l’Oreste. Ces deux hommes s’aimaient d’une amitié si tendre qu’ils ne pouvaient vivre séparés. Lorsque leurs supérieurs les changeaient de résidence ils avaient soin de les mettre tous les deux en-