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Combien c’est de l’honneur d’aimer en si bon lieu !
Je m’estime aussi grand et plus heureux qu’un dieu !
Amaranthe, Philis, Caliste, Pasithée,
Je hais cette mollesse à vos noms affectée ;
Ces titres qu’on vous fait avecque tant d’appas
Témoignent qu’en effet vos yeux n’en avaient pas.
Au sentiment divin de ma douce furie,
Le plus beau nom du monde est le nom de Marie.
Quelque soucy qui m’ait enveloppé l’esprit,
En l’oyant proférer ce beau nom me guérit,
Mon sang en est ému, mon âme en est touchée,
Par des charmes secrets d’une vertu cachée.
Je la nomme toujours, je ne m’en puis tenir ;
Je n’ai dedans le cœur autre ressouvenir ;
Je ne cognois plus rien, je ne vois plus personne :
Plût à Dieu qu’elle sût le mal qu’elle me donne !


Marie, fi donc ! Marie, le nom de la mère de Dieu ! un nom de reine ! un nom de chrétienne ! monstruosité à nulle autre seconde ! Quelle dépravation de goût ! Préférer un tel nom à ces beaux noms grecs et latins si melliflus et si euphémiques ! — À dater de là Théophile fut décidément perdu. Ajoutez à cela qu’il devait faire, si la camarde ne l’avait prévenu, un poème, non sur la mort d’Adonis ou sur quelque sujet de ce genre, comme il eût été décent de le faire, mais un poème national tiré de nos vieilles chroniques.


Et ces vieux portraits effacez,
Dans mes poëmes retracez,
Sortiront des vieilles chroniques ;
Et ressuscitez par mes vers,
Ils reviendront plus magnifiques
En l’estime de l’univers.


Vous voyez que son plan d’insurrection était complet,