Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne sache pas de jeune moderne qui étale un dédain si prononcé pour l’ancienne mythologie, donne si insolemment du pied au derrière de tous ces pauvres diables de dieux qui n’en peuvent mais. — Encore s’il s’était contenté d’être impie et athée avec ces divinités païennes, peut-être on lui aurait pardonné ; mais il ne s’en tient pas là, le damné novateur !

Vous savez tous combien Philis était puissante en ce temps-là, comme elle était choyée, encensée, madrigalisée. — Quels innombrables soupirs n’a-t-elle pas fait pousser ! que de pâmoisons, que de songes galamment indiscrets, que d’ivresses et de désespoirs, que de quatrains, que de stances, que de petits vers, que de grands vers, que de vers libres et autres, que de sonnets, que de complaintes, que de chansons elle nous a valu ! — Tous les échos et les perroquets de cette époque le savent parfaitement ce nom qui rime si bien à lis. Son œil a été cause de six mille sonnets ; chacun de ses cheveux en a produit un ; sa bouche en a fait naître plus que vous ne comptez de saints dans le calendrier. Je n’essayerai pas d’énumérer ceux qu’on a rimoyés sur sa gorge, les chiffres arabes et romains n’y suffiraient pas. Eh bien ! cette Philis, si grande dame, si précieuse, toujours jeune, toujours belle, qui semble avoir été pendant deux ou trois siècles la seule femme existante en France, cette Philis qu’il avait courtisée lui-même comme les autres, il lui jette un jour à la face, comme un gant de défi, ces vilains brutaux de vers :


Aussi souvent qu’amour fait penser à mon âme
Combien il mit d’attraits dans les yeux de ma dame,