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Nous n’avons raconté ici que sa vie matérielle ; nous examinerons sa vie intellectuelle, son système poétique, son procédé de versification, la nature de ses défauts et de ses qualités ; nous le considérerons dans ses rapports avec les autres poètes du temps, et principalement avec Malherbe ; car, nous l’avons déjà dit, Théophile est un véritable grand poète, et son influence, bien que souterraine et inexpliquée, est très-sensible sur la littérature actuelle. — On sera bien surpris de retrouver dans Théophile des idées qui paraissaient, il y a dix ou douze ans, de la plus audacieuse nouveauté. — Car c’est lui, il faut le dire, qui a commencé le mouvement romantique.

Je vous ai dit que Théophile de Viau était un grand poète ; vous avez pu voir, par les fragments que j’ai cités plus haut, que c’était un non moins grand prosateur, que ses pieds valaient ses ailes, et qu’il marchait aussi bien qu’il volait : cela est un privilège de poète. Quand il quitte la langue des dieux pour celle des hommes, il parle celle-ci aussi bien que l’autre. Les prosateurs, au contraire, ne peuvent pas aligner quatre vers passables. Car les oiseaux peuvent bien descendre à terre et marcher comme les quadrupèdes ; mais les quadrupèdes, si rapide d’ailleurs que soit leur course, ne peuvent s’élever en l’air et voler comme les oiseaux. C’est une chose qu’on peut aisément justifier et qui donnerait lieu à de curieuses recherches, mais qui nous mènerait trop loin, et que nous traiterons peut-être une autre fois. Toujours est-il que la prose de Théophile est une des plus belles que nous connaissions ; elle est pleine de ces grandes