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beau langage ; sa modération fait le plus singulier effet à côté de cette furie échevelée, et tout ce qui est honnête ne peut que se ranger de son côté. Quoiqu’il en soit, le Parlement fut deux ans entiers à revoir son procès. — Ces deux années, il les passa dans d’incroyables souffrances. — Son cachot était obscur et humide ; c’était un cachot qu’on avait jugé digne, quelques années auparavant, de recevoir le régicide Ravaillac. C’est tout dire.

Sa peine fut commuée en un simple bannissement ; il se retira à Chantilly, chez le duc de Montmorency, qui avait toujours été son protecteur, et qui ne fut guère plus heureux que son protégé, car après avoir gagné des batailles il mourut sur un échafaud. — Ce fut dans cette retraite qu’il composa, en l’honneur de la duchesse, la pièce intitulée le Bosquet de Sylvie. — Le nom est resté au bocage qu’elle célèbre. — Théophile ne jouit pas de sa liberté longtemps : les privations, les inquiétudes, les excès de travail et de débauche, les souffrances de toutes sortes, avaient profondément altéré sa constitution, naturellement robuste ; il tomba malade et ne se releva plus. Quelques minutes avant sa mort il demanda avec instance un hareng-saur à son ami Mayret, qui le lui refusa, craignant qu’il ne se fît mal, et qui se reprocha toute sa vie de ne pas avoir satisfait cette dernière fantaisie d’un homme qu’il avait beaucoup aimé. — On était en 1626, et Théophile n’avait que trente-six ans ! Quand on voit tout ce qu’il a fait à travers une vie si agitée et si malheureuse, on n’ose penser jusqu’où il aurait été si le ciel lui avait souri et s’il avait vécu les années que semblait lui promettre son corps robuste et brisé à la fatigue. —