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n’était qu’un prête-nom), a fait le plus de mal à la monarchie, tout en ayant l’air de la consolider.

Il n’y a plus de grands seigneurs, il n’y a plus que des courtisans. Le roi est placé tout seul, debout sur un haut piédestal, il paraît grand au premier coup d’œil, mais cette élévation et cet isolement le rendent le point de mire de toutes les attaques. Il est trop haut ; il y a un abîme entre le peuple et lui : il n’existe plus de classe assez royale pour être vraiment royaliste. Les intérêts du roi ne sont les intérêts de personne, et personne ne le défendra contre son peuple, pas même les courtisans, qui ne voient en lui qu’un dispensateur de pensions, et non un homme avec qui ils puissent faire cause commune.

Les œuvres de Théophile fourmillent de plaintes sur le malheur de n’être plus à la cour, de ne pouvoir être admis au coucher du roi ; et, Dieu me pardonne ! il s’inquiète plus de cela que d’être brûlé vif. Ce n’est pas que notre poëte soit un servile ; sa liberté de langue a failli lui coûter cher, mais il subissait l’influence de son temps, influence dont les meilleurs esprits ne peuvent se défendre qu’imparfaitement. Nous avons insisté là-dessus, parce que ce besoin de patronage et de courtisanerie a été un des caractères distinctifs des littérateurs et des poètes, jusqu’à une époque encore bien rapprochée de la nôtre, mais qui en semble séparée par un gouffre de deux mille ans, tant elle est différente. Les patrons furent d’abord des rois et des princesses, puis des grands seigneurs et des précieuses, puis des fermiers-généraux et des filles d’Opéra ; l’on en vint à avoir son poëte, comme une guenon ou comme un magot de la Chine, tant il est