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les cruautés de l’amour

de s’écouler et pendant lesquels il avait lutté contre lui-même n’avaient eu pour résultat que de rendre son amour plus ardent. Il craignait de ne pouvoir dominer l’émotion qui le gagnait en se retrouvant si près de celle qu’il voulait fuir, et il lui fallait toute son énergie pour se souvenir que ce n’était pas vraiment sa jeune fiancée qu’il emportait ainsi à travers les steppes de neige, mais bien une grande dame qui se jouait de lui.

Par instant, un mouvement de colère faisait bondir son sang.

— Dans ce désert, où elle est seule avec moi, elle n’éprouve pas la moindre inquiétude, se disait-il, elle me méprise trop pour me craindre.

Et il jeta sur elle quelques regards que, par bonheur, elle ne comprit pas.

Lorsqu’il rentra, il était mécontent de lui-même ; il s’en voulait d’avoir consenti à cette promenade, d’avoir été sans énergie et sans volonté.

— Bientôt je deviendrai lâche, se disait-il ; les nuits sans sommeil m’épuiseront et un enfant aura raison de moi. Il faut que je trouve un moyen de sortir de cet état.

Quelques jours plus tard, il s’habilla pour la chasse et partit de grand matin. Avant de monter à cheval, il embrassa sa mère.