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les cruautés de l’amour

— C’est donc une dame, qu’elle ne peut faire dix pas à pied ? s’écria Akoulina qui, avec son instinct féminin, soupçonnait quelque mystère.

Cependant, on ne se tint pas pour battu. C’était dimanche ; on avait le temps de flâner. Les plus curieux allèrent à la ferme et manifestèrent franchement leur désir de faire un peu connaissance avec la nièce d’Ivan Ivanovitch.

Clélia fut charmante avec les visiteurs. Ivan leur offrit du cognac qu’elle leur servit elle-même. Elle leur disait de l’air le plus sérieux du monde qu’elle était bien heureuse d’être parmi eux, et que son plus grand désir était de rester toujours au village.

L’inquiétude et la sourde colère qui agitaient André devant les familiarités, très-naturelles entre égaux, que prenaient avec elle les moujiks, la divertissaient beaucoup.

Un jeune gars, tout ébahi de sa beauté, se mit à lui faire gauchement la cour, avec des mines et des tours de phrases si bizarres que Clélia rit aux larmes, ce qui flatta énormément le jeune paysan, qui s’en alla très-épris et plein d’espoir.

Ce fut au point que le lendemain, il envoya son père demander à Ivan la main de sa nièce.

Lorsque André vit arriver le vieux Piotr, père du prétendant, qui rarement quittait la petite auberge qu’il dirigeait, il devina le but de sa visite.