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les cruautés de l’amour

— M’avez-vous oublié, mon amour ? soupirai-je.

— Oh ! non ! répondit-elle très-bas.

Je contemplai la mer, l’horizon, la lande, je trouvai la nature sublime et je pensai qu’il était doux d’être au monde. Je remontai sur mon arbre pour procéder à ma toilette. En me regardant au miroir j’eus un moment de chagrin. Le grand air, le soleil, la réverbération du sable blanc m’avaient hâlé, mon teint si limpide s’était taché de plaques bistrées et de nuances rubicondes qui me déplaisaient souverainement, les saillies des plis de mon cou avaient un faux ton de pain d’épice clair, tandis que les creux étaient restés blancs, ce qui le faisait ressembler à un cou de zèbre, de plus le vent de la mer m’avait tanné la peau, et je la comparai sans pitié, à du cuir de bottes. Mes cheveux étaient désséchés, mes moustaches raides, mes mains calleuses et noires. À l’aspect de ces désastres, je versai deux larmes de rage et je m’enfonçai les ongles dans le crâne.

Cependant après cet excès de douleur je me mis à l’ouvrage pour tâcher de réparer les dégâts. J’avais beaucoup ménagé mes pommades et mes eaux de toilette, présageant que les anthropophages devaient avoir des notions très-succinctes sur la fabrication de la parfumerie, et n’espérant revoir de longtemps la boutique d’Houbigand-Chardin.