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les cruautés de l’amour

ne fut marqué par aucun événement fâcheux. Les poules réconfortées par l’eau dont elles étaient privées depuis longtemps, pondirent trois œufs que milady fit cuire sur de la braise de broussailles ; et nous fîmes un excellent repas, car nous commencions à nous lasser de la viande fumée.

Puis les jours se succédèrent uniformément. Aucun habitant n’apparaissait. Nos demeures s’étaient beaucoup améliorées ; milady, avec des varechs, avait tressé des sortes de paillassons qui servaient de murailles à nos chambres ; nous avions fait des armoires dans les feuilles et des porte-manteaux dans les branches, une niche pour le singe et un perchoir pour le perroquet. Les poules avaient aussi leur arbre qu’elles avaient choisi. Tout allait donc pour le mieux. Mais étions-nous destinés à passer notre vie entière dans cette île déserte et ne verrions-nous jamais apparaître un navire à l’horizon que nous regardions sans cesse ?

Un soir, pendant que nous prenions un bain, milady aperçut un point noir sur la mer. Elle m’appela et nous nous mîmes tous deux en observation, la main plate au-dessus des sourcils, allongeant notre vue le plus possible, le point noir s’agitait visiblement et approchait. Notre inquiétude était à son comble. C’était sans doute une barque pleine de sauvages. Il me semblait les voir armés de pieux,