Page:Gautier - Les Cruautés de l'Amour, E. Dentu, 1879.djvu/241

Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
les cruautés de l’amour

doit être intolérable. Nous mîmes les restes du repas à l’abri du soleil, et j’offris mon bras à milady pour aller à la découverte d’un arbre à trois branches. Nous marchions au bord de la dune d’un pas tranquille, regardant tantôt la mer, tantôt la lande. Je disais mille galanteries à la jeune anglaise, qui fronçait le sourcil en souriant derrière son ombrelle. Elle avait une robe courte, noire, garnie de franges légères, et sur le front, une toque de velours noir où s’enroulait un voile de crêpe. Moi, bien ganté et vêtu de toile blanche, je faisais crier mes souliers vernis sur le sable. Nous, nous pensions à Dieppe ou à Trouville. Milady tira de sa ceinture une petite montre incrustée de perles.

— Quatre heures ! quatre heures du matin ! dit-elle.

— Comment, m’écriai-je, quatre heures et non-seulement nous sommes levés, mais nous avons déjà déjeuné et nous nous promenons !

— Nous ne nous promenons pas ; nous cherchons un arbre pour bâtir une maison.

— C’est vrai, vous m’aviez fait oublier l’île déserte, le naufrage, les serpents, les sauvages et la fricassée.

— Si je vous ai fait oublier tout cela, je vous en fais souvenir, et voici là-bas quelques arbres