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les cruautés de l’amour

m’arrangeai de façon à bien passer la nuit. J’étais presque tranquillisé ; je ne dormis pas trop mal, tout étonné de mon héroïsme. Dès l’aurore, je sautai sur le pont, et j’explorai du regard l’horizon avec anxiété. Rien, le ciel et l’eau seulement ; le bateau filait toujours.

— Si cela continue, pensai-je, nous arriverons tout de même en Amérique.

Je portai sa nourriture à milady. Je lui conseillai même d’aller prendre un peu l’air pour sa santé, ajoutant que pendant sa promenade je m’enfermerais à mon tour pour ne pas la gêner.

— Merci, mon cher geôlier, me répondit-elle assez doucement.

— Bon, pensai-je.

Et j’allai me cacher dans la cabine du capitaine. Milady ne tarda pas à sortir. Je vis qu’elle me cherchait des yeux ; mais je ne parus pas, résolu que j’étais à lui tenir rigueur.

Rien d’intéressant ne se produisit ce jour-là ni les jours suivants. Je passai mon temps à tenir de longues conversations au perroquet et à exécuter des pantomimes variées en face du singe. Je ne trouvai rien de mieux pour me distraire. J’étais incapable de lire, incapable aussi d’écrire mes impressions de voyage. Situation misérable ! Mais le neuvième jour, comme je promenais selon mon