Page:Gautier - Les Cruautés de l'Amour, E. Dentu, 1879.djvu/214

Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
les cruautés de l’amour

mes deux mains et la lançai violemment contre la porte, tout en poussant de profonds soupirs, comme un homme qui accomplit un travail pénible.

Après quelques instants de ce manége j’entendis la voix de milady.

— Que faites-vous donc, monsieur de Puyroche ? dit-elle.

— Madame, m’écriai-je pathétiquement, l’eau gagne ! La voici qui assaille les cabines. Sortez vite, je vous en conjure. J’essaie en vain de lutter contre ce flot implacable, de vous défendre, de prolonger votre vie de quelques minutes. Je vais être vaincu ; j’ai déjà de l’eau jusqu’aux genoux ; bientôt elle m’emplira la bouche et je ne pourrai plus vous parler !

— Je vous remercie de vous inquiéter ainsi de moi, dit la jeune femme d’une voix émue. Mais puisqu’il faut mourir, à quoi bon prolonger l’agonie ? Je suis prête à partir. Au revoir, monsieur, nous nous rejoindrons tout à l’heure.

Le sang se glaça dans mes veines.

— Milady ! chère milady ! criai-je, y pensez-vous ? Mourir ainsi enfermée, mourir enterrée déjà ! Venez jouir une heure encore de l’air, du soleil, du vent ; venez mourir au grand jour ! que vos beaux yeux, tant qu’ils auront un regard contemplent le ciel pur, la mer glauque, l’espace, l’immensité, qui sont des