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les cruautés de l’amour

nue calme, où l’Imogène n’était plus qu’une épave prête à s’engloutir.

Tremblant, glacé, échevelé, je me mis à bondir comme un fou, d’un bout à l’autre du navire. Que résulta-t-il de cette course éperdue ? La conviction que j’étais seul en effet, ou à peu près, car je rencontrai un singe sans queue et un perroquet déplumé, abandonnés comme moi à la cruauté de l’Océan.

Je descendis aux pompes. La cale était pleine d’eau. L’allégement inattendu produit par le départ des passagers avait retardé le plongeon, mais l’eau ne cessait d’entrer, quoiqu’avec peu de violence, et le plongeon était inévitable.

C’est avec cette aimable conviction que je remontai sur le pont, et que je revins m’asseoir épuisé, hébété, sur mon banc, d’où je considérai longtemps et mélancoliquement la coque disloquée de l’Imogène et les vagues miroitantes.

Cependant, vers midi, je fis un soubresaut prodigieux ; j’avais entendu un coup de sonnette ; le bruit sortait de l’escalier de l’entrepont.

Non ! jamais domestique ne s’est précipité aussi vivement que moi à l’appel de son maître. Je me trouvai en trois bonds devant la porte d’une cabine fermée, la seule fermée, car toutes les autres